Je garde encore le tendre souvenir de ce cadeau de Noël dont la forme improbable interdisait à mon imagination toute supputation sur son contenu. La surprise fut d’autant plus totale que ces échasses en bois tant désirées, provenaient du magasin de jouets chéri de mes vacances pyrénéennes. Les retrouver là, au pied de mon sapin marseillais, ravivait de surcroit toute la saveur de leur provenance. Ainsi parée, les cale-pieds rouges réglés au plus bas, je commençais prudemment mon apprentissage. Quelle fierté de défier la gravité à vingt centimètres du sol tout au plus, de déambuler gauchement en vue de trottiner le plus loin possible sans poser un pied à terre. Et comme s’il était nécessaire de rajouter à la difficulté, c’est sur les graviers du jardin de mes grands-parents que je m’entraînais durant des heures. Les 90 ans de mon arrière-grand-mère furent l’occasion d’une grande fête familiale où, forte de ma spécialité du moment, je décidais de me déguiser en parfait petit berger. Armée de mon gilet en laine, d’un béret rouge, d’une gourde basque et de mes appendices de bois chéris, je me mis à parader bravement sous les encouragements magnanimes de mes parents, grands-parents, oncles et tantes. Exhibant innocemment mes échasses de la sorte, je venais sans le savoir de défier les plus audacieux de mes cousins. Durant toute la journée, elles passèrent donc de mains en mains et de pieds en pieds faisant se succéder les talents plus ou moins remarquables de chacun. Jusqu’à ce que l’un de mes oncles, probablement ivre d’avoir consommé trop de soleil, décide à son tour de se frotter à l’exercice. S’étalant de tout son poids sur les graviers et sous mes yeux, il venait dans un même mouvement de briser mon cœur et l’une de mes échasses. Anéantie, malgré l’ambiance joviale générale tendant à relativiser l’évènement, je ne fus consolée que par la promesse de leur remplacement futur ; promesse bien entendu jamais tenue.
D comme Dentiste <– –> F comme Feu d’artifice
