Les Grandes Jorasses – V

 

La chaîne des Alpes, paralysée par ce suspens insoutenable, se demandait ce qu’allait bien pouvoir inventer le duo d’écorchées vives pour se faire encore remarquer. Mais, contre toute attente et allant jusqu’à faire mentir les bookmakers locaux qui pariaient déjà sur l’ampleur de leur contre-attaque, elles n’eurent pas l’ombre d’une réaction.

Reprenant progressivement leurs esprits, Marguerite et Hélène réalisèrent l’ampleur du désastre dont elles étaient responsables, ainsi que l’atmosphère pesante qu’elles faisaient régner auprès de leurs semblables. Leurs rancunes mutuelles étaient si anciennes qu’en y repensant, ni elles ni personne n’arrivait à en identifier la véritable origine.

Encouragées par le message bienveillant que semblait leur délivrer le sapin, elles demandèrent au Mont Blanc de convoquer un G8 extraordinaire à l’occasion duquel elles voulaient intervenir. Faisant alors preuve d’une maturité que personne ne leur connaissait jusque-là, elles prirent la parole pour évoquer la fragilité de leurs vies, ainsi que celle de la faune et de la flore qui peuplaient leurs pentes. Elles expliquèrent qu’elles avaient conscience que rien ne pourrait réparer ce qu’elles avaient déjà détruit, qu’elles savaient que leur équilibre ne tenait désormais plus qu’à un fil et que, ne souhaitant pas se nuire davantage, elles éprouvaient le besoin colossal de se reposer…

Et elles n’étaient pas les seules.

C’est ainsi que, apaisées par ces sages paroles, toutes les montagnes décidèrent à l’unanimité de se figer pour l’éternité, confiant leur fragile et subjuguante beauté à l’entière responsabilité de leurs futurs héritiers.

 

FIN

 

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