La chemise sur le bateau

Ile

C’était une croisière comme on n’en fait plus, un peu dans le genre rococo. Elle n’était pas peu fière d’avoir, à la salle polyvalente, gagné le gros lot du loto. Elle qui s’imaginait à peine repartir avec le « magnifique filet garni », la voilà se promenant émerveillée dans les coursives d’un paquebot. Et c’est alors qu’elle le vit, tout galonné dans sa chemise ajustée…

Qu’il était beau dans sa chemise, le vent aux joues, comme une bise ; qu’il était bon, vêtu de blanc, au garde à vous sous les fanions. Il devint sa chemise sur le bateau, elle se vit sa cerise sur le gâteau.

Qui était-il, où le croiser ? Sur ce navire plus grand que son village, parvenant tout juste à retrouver sa cabine tant il y avait d’étages. Si elle ne devait plus le voir, c’est sûr son cœur ferait naufrage. Peut-être au bal, ou à la proue, comment savoir, déjà un jour.

C’est pas qu’au pays il n’y a pas d’hommes, y’en a des vrais, des bien musclés, célibataires et bien dotés. Mais bon voilà, c’est pas pareil, des comme ce gars, aussi charmant, si séduisant, il n’y en a pas. Qui aurait cru qu’au bout d’un carton plein d‘haricots secs, se trouverait le coup de foudre sous les traits d’un marin, au départ de Dunkerque.

Qu’il était beau dans sa chemise, le vent aux joues, comme une bise ; qu’il était bon, vêtu de blanc, au garde à vous sous les fanions. Il demeurait sa chemise sur le bateau, elle se rêvait sa cerise sur le gâteau.

À chaque escale, elle fait le guet, au grand pavois ou sur la panne. C’est décidé, si elle le voit elle l’aborde, qu’il soit à bord ou sur les quais. Mais les jours passent et même les îles sont incapables de détourner son esprit de l’idyllique mirage. Jusqu’à ce dîner où là enfin juste à l’entrée, il est bien là en haie d’honneur. Tout est prévu, un billet doux, elle l’a écrit de tout son cœur, elle se rapproche, et puis le glisse discrètement dans ses gants blancs…

Une heure plus tard, il apparaît, après de multiples regards. Il est si près, elle sent son souffle, dans son oreille, il lui susurre : “C’est pas que vous ne me plaisez pas, merci beaucoup pour le billet, mais voyez vous de vous à moi, j’suis désolé, mais je suis gay »…

Qu’il était beau dans sa chemise, le vent aux joues, comme une bise ; qu’il était bon, vêtu de blanc, au garde à vous sous les fanions. Il était sa chemise sur le bateau, il devint sa méprise sur le radeau.

 

© 2015 – Marion Remy – Toute reproduction interdite sans l’autorisation de l’auteure.