Le crapaud

Héron

Chaque soir que Dieu fait, le crapaud s’installe sur une feuille de nénuphar et coasse à tue-tête.
Jour après jour, au crépuscule, il regarde la lune monter doucement dans les volutes de brume.
Lorsque le ciel est couvert, il contemple les nuages et se réjouit des pluies rafraîchissantes.
Les nuits sans lune, il compte les étoiles jusqu’à en perdre la tête.
Chaque soir que Dieu fait, le crapaud se demande qui d’autre, tout comme lui, a les yeux levés vers le ciel.
Il se demande si au-delà de la mare, il y a beaucoup de monde.
Il les connait les hommes et surtout leurs petits, qui envoient des cailloux en riant.
Le crapaud pleure parfois face à ce monde injuste et à sa solitude.
Il a compris depuis longtemps à quel point il est repoussant.
Sa peau pleine de pustules le prive de caresses.
Même son cri, à mi-chemin entre le hoquet et le gémissement, ne semble attirer que moqueries et jets de pierres.
Du bord de l’eau il observe les poissons, gracieux et agiles.
Mais dès qu’il se penche trop, il tombe sur son reflet et se rappelle alors combien il est laid.
Certaines fois, les jours de beau temps, il lui arrive d’être heureux. Il se dit alors qu’il a de grandes qualités :
– « Avec ma longue langue, je peux attraper un moustique en plein vol.
Je fais des bonds impressionnants et je nage à toute vitesse !
Lorsque je chante, les grillons se taisent pour m’écouter.
Je sais si bien me camoufler que même le héron ne me voit pas. »
Mais immanquablement, passée l’euphorie, le crapaud se rappelle à quel point il est seul.
Il ne peut montrer ses prouesses à personne.
Sa mare n’est qu’un royaume maudit, une prison dorée.
Ce matin, la rosée qui recouvre tout à perte de vue fait étinceler le moindre brin d’herbe, la moindre feuille d’arbre.
Les roseaux penchent sous le poids des gouttes et les libellules se délectent de ces divines fontaines.
Comme chaque soir que Dieu fait, le crapaud sort de son abri et après un petit bain rapide se hisse sur sa feuille.
La brume est épaisse aujourd’hui, les rayons du soleil ont du mal à percer.

 

© 2015 – Marion Remy – Toute reproduction interdite sans l’autorisation de l’auteure.