Les Grandes Jorasses – III

 

Les sœurs diaboliques venaient une fois de plus de se déclarer la guerre.

Un orage phénoménal, en formation juste au-dessus de leurs têtes, n’avait pas encore éclaté qu’un maelström surnaturel de roches, de branches et de cristaux en lévitation tourbillonnait furieusement le long de leurs versants.

Hélène, en plein délire, crachait araignées, serpents, chauves-souris et vers de terre. Projetant dans ses couloirs des torrents de pierres noires et coupantes, elle cherchait à creuser un profond fossé qui la séparerait définitivement de sa maudite sœur. Psalmodiant des incantations, les yeux révulsés, elle ne contrôlait plus rien. Les arbres sur ses flancs se déracinaient les uns après les autres, tournoyant violemment, balayant tout sur leur passage. Elle pourtant si soucieuse de son apparence, avait désormais l’air d’une gorgone enragée. Profitant du déclin du soleil, elle jubila en voyant qu’elle était en train de faire de l’ombre à sa rivale.

Marguerite, quant à elle, ivre de bonheur à la vision de cette nouvelle agitation, ondulait bizarrement. Entre deux salves d’avale-hanches ciblées pour paralyser sa victime, elle se pâmait, s’imaginant ainsi pouvoir s’attirer la pitié des témoins présents. Passée maîtresse dans l’art de l’affrontement, elle déployait stratégiquement ses escadrons de bouquetins et de lagopèdes. Dans les airs, gypaètes barbus et chocards à becs jaunes bravaient courageusement les éléments pour repérer les failles de l’ennemie et procéder à des largages de stalactites.

« Tu n’es qu’une vulgaire caillasse insignifiante, je vais te pulvériser, te réduire en poudre, te rayer de la carte ! Que mon ardente puissance te damne et te transforme en carrière de gargouilles à cathédrales ! vociférait Hélène, recrachant des nuées infernales par ses narines turgescentes.

– Essaye toujours ! ripostait Marguerite le visage déformé par la rage. Quoi que tu fasses, nuit et jour je serai toujours là, face à toi, pour te narguer, t’empoisonner, te pourrir la vie. De mes fœhns je ferai fondre tes glaciers, jusqu’à ce que tu ne sois plus qu’une sale mégère boueuse, une sorcière fétide et poisseuse !

– Crevasse !

– Poudingue !

– Erreur de la nature !

– Crétine des Alpes !

– Fossile !

– Dolomite !

– … »

Jamais, au grand jamais la grande lignée des Alpes n’avait connu pareil cataclysme et c’est médusées que les montagnes assistaient impuissantes à ce triste carnage.

Mais alors que les deux acharnées continuaient à s’écharper, un craquement sinistre et déchirant retentit, du tréfonds de la terre jusqu’au-delà des plaines. Largement relayé par l’écho, toujours avide de scoops détonants, ce bruit effroyable stoppa net le combat.

 

Chapitre IV