P comme Palangrotte

En bonne marseillaise que je suis, c’est très tôt que j’ai été initiée à la pêche à bord du voilier familial. Trop jeune pour manœuvrer une canne, je me vis confier dans un premier temps un système parfaitement adapté, une palangrotte. Un plomb surmonté de deux hameçons noués sur un fil en nylon, le tout enroulé sur un épais morceau de liège, j’étais équipée pour la journée. De toutes les étapes peu ragoutantes de cette activité, l’une d’elles consiste à enfiler un bout d’appât sur chaque hameçon. Mes doigts immatures risquant de s’y embrocher, cette tâche fut longtemps assurée par un adulte. Une chance car l’esche, en l’occurrence un long ver brun-verdâtre au corps annelé a, dès on le titille, une fâcheuse tendance à se défendre en projetant nerveusement deux crocs vers son ennemi. Cela avait le don de m’effrayer. À vrai dire, sa propension à gicler abondamment quand on le sectionne n’est pas non plus des plus appétissantes. Mon vers embroché, je pouvais enfin dérouler ma ligne dans l’eau jusqu’à ce que le plomb atteigne le fond puis, la réenroulant légèrement, je la maintenais tendue sur le bout de mon doigt. Cette subtilité capitale permet de percevoir les vibrations que provoquent les poissons lorsqu’ils tentent de gober le ver et l’hameçon ; on dit alors que “ça pite”. À la secousse vive et insistante communiquée par le fil, je comprenais qu’un, voire deux poissons semblaient hameçonnés, je remontais alors fébrilement ma ligne, excitée par la surprise que me réservaient les profondeurs. Une bogue, un roucaou, une castagnole noire ou rouge, une girelle, royale parfois que je m’empressais de mettre dans un seau d’eau de mer afin de les observer. Ces pêches miraculeuses me comblaient de joie au point d’en oublier la précipitation avec laquelle j’avais remonté mon fil, créant pagaille et sacs de nœuds qu’il me fallait alors délier patiemment pour avoir le droit de renouveler l’opération.

 

O comme Ongles <– –> Q comme Quésako ?

Revenir au sommaire