Les Grandes Jorasses – I

 

Quiconque n’a jamais entendu parler de l’histoire sombre et tumultueuse des Grandes Jorasses
ne peut en vérité comprendre l’étrange pouvoir des montagnes.

 

Au début, tout n’était que chaos, poussières asphyxiantes et laves en fusion. De cet enfer émergèrent un jour une succession de reliefs, des petits mamelons dont on ne pouvait alors soupçonner que Dame Nature, dans sa généreuse exubérance, en ferait un jour l’une des plus célèbres chaîne de montagnes.

Au beau milieu de ce chapelet de pics, d’aiguilles et de cimes, du plus loin que remontaient les séculaires souvenirs des mémoires de calcaire l’on rapportait que, depuis toujours, deux sœurs s’opposaient. Deux caractérielles, quasi siamoises, dont la réputation sulfureuse et la haine réciproque n’avaient d’égales que leurs beautés intrigantes. Nul ne savait – et pas un n’aurait osé affirmer – laquelle était sortie de terre en premier. Mais c’est surtout à ce titre indifférencié de « Grandes Jorasses » que beaucoup attribuaient la cause de leur profonde rivalité, car toutes deux brulaient du même désir de parvenir à se distinguer à tout prix l’une de l’autre.

D’abord, il y avait Hélène, une redoutable harpie arrogante et volubile. Férue d’occultisme, elle pouvait déclencher des tempêtes et des tremblements de terre prodigieux lors de ses accès de colère. Ténébreuse, elle se délectait de son emprise sur les mondes souterrains, libérant à chaque secousse reptiles, batraciens et autre faune cavernicole. Fan de tectonique, elle entrait en transe à chaque fois qu’elle générait un conflit, se laissant délicieusement bercer par les spasmes et les soubresauts telluriques.

Et puis l’autre, Marguerite, était une véritable belliqueuse égocentrique qui s’était  – très modestement – autoproclamée « Grande philosophe des adrets ». Experte en simulation de mélèze, la vicieuse aimait se jouer de ses victimes pour parvenir à les déstabiliser. Affectionnant tout particulièrement les terrains glissants, elle régnait, tyrannique, sur les cornus, les plumeux et les écailleux. Dingue de musique roc, c’est sur le rythme endiablé de son morceau fétiche « Ubac in black » qu’elle aimait provoquer d’euphoriques éboulis jubilatoires.

 

Chapitre II